400 km, entre le sud-est et le sud-ouest (fin)

Voici la dernière partie de ce petit récit que nous a fait Jean-Claude de son périple entre Marseille et l’Aveyron.
Il nous y raconte, entre autres, deux rencontres, très différentes l’une de l’autre, qu’il a faites au fil de ses étapes.

Transcription

A : Quand on voyage comme ça à pied, est-ce qu’il y a des endroits qui sont compliqués au niveau des chemins ? Est-ce qu’on trouve des chemins partout ? Parce que la voiture a colonisé tout l’espace, donc il y a des routes. Les villes s’étendent, les abords (1) sont peut-être un peu trop civilisés. Est-ce que tu as toujours pu passer en marchant en te sentant quand même dans la campagne ?


JC : Bah déjà (2), il y a… J’ai suivi les GR le plus possible mais pas tout le temps, parce que en fait, les GR, des fois, font certains détours (3). Et puis, quand on passe d’un GR à l’autre, bon, on peut attendre que deux GR se croisent, ce qui arrive quand même très fréquemment, mais… mais je veux dire, ça fait faire des détours (4). Donc moi, j’ai pris quand même des raccourcis (5), par rapport à, je veux dire, ce que j’aurais pu faire si j’avais suivi uniquement des GR, hein, parce que en fait, il y a un GR quand même qui part de Marseille, le GR 2013, qui en croisant d’autres GR me permettait d’aller complètement à l’arrivée. Mais certains GR, ceci dit (6), prennent des petites routes. Et même, il y a quelques passages, bon, j’ai quelques souvenirs où c’était pas non plus très agréable. Alors, ça a pas duré des heures et des heures (7), mais par exemple, quand on est après Fontvieille, donc on quitte les Alpilles et on va rejoindre… on va traverser le Rhône, enfin moi, ce que j’avais choisi, c’est d’aller traverser le Rhône (8) à, disons Tarascon, Beaucaire et donc là, on coupe une plaine et là, j’ai eu quand même une bonne heure (9) à marcher sur une route qui était pas… enfin le long… sur le bord d’une route qui était pas très agréable, avec quand même des voitures, des choses comme ça, avant de rejoindre des petits canaux, longer des canaux, des chemins de terre. Donc c’était… La fin était agréable, enfin (10) agréable, c’était un peu monotone, hein, la plaine du Rhône est un peu monotone. Mais bon, il y a eu quelques passages, en effet, où il faut… Il faut les faire, voilà, c’est ça, l’idée, quoi !
A : Donc globalement (11), c’est sauvage.
JC : Oui. Oh bah oui ! Oui, oui. C’est très sauvage.
A : Et est-ce que tu as vu des animaux sauvages ?
JC : Bah non ! Paradoxalement, j’en ai pas vu. J’ai été, je veux dire, j’en ai pas vu parce que j’en ai croisés, on va dire… enfin, c’est eux qui m’ont croisé la nuit, c’est des sangliers, là. J’étais, on va dire, dans les vignes, près d’Alès. Bon, j’ai entendu des sangliers qui tournaient autour de ma tente. Je me suis levé, je les ai chassés, ils sont revenus, je me suis relevé, ils sont partis, voilà, hein. C’était de la curiosité (12). J’ai pas eu le sentiment (13) d’être en danger du tout. Mais non, je n’ai pas vu d’autres animaux sauvages à vrai dire.
A : Tu as entendu des oiseaux ?
JC : Ah oui, oui, oui.
A : Et en ce qui concerne tes rencontres, donc tu as dit… Tu avais parlé de rencontres avec d’autres marcheurs ou un cycliste, voilà, mais est-ce que les gens sur place (14), est-ce qu’il y a des des gens qui étaient, je sais pas, un peu suspicieux ? Tu parlais de camping sauvage (15). Est-ce que tu as eu quelqu’un qui t’a dit : « Ah bah non, là, il faut pas ! C’est interdit » ?
JC : Non, non. J’ai eu des gens qui… J’ai croisé des gens qui ont vu que je campais, qui m’ont au contraire dit que c’était bien, que je pouvais me mettre là, des choses comme ça. Non, il y a eu juste un petit incident, qui est pas vraiment un incident. Mais c’est avant d’arriver à Millau donc, j’avais dormi sur le Causse Noir, là, dans un petit village – parce que en fait, je repérais (16) les points d’eau (17) et j’avais… Il y avait, donc en bordure de ce petit village, il y avait la salle des fêtes (18) et il y avait un robinet d’eau. Et comme c’était bien plat, là, sous un pin, à côté, bah je… j’avais passé la nuit là. Et le matin, je me suis réveillé un peu tôt et donc j’avais mis ma lampe frontale pour plier la tente. Et là, il y a une voiture qui est arrivée, parce que en fait, il y a quelqu’un du village, il est arrivé, on va dire, en peignoir (19)! Et en fait, il avait vu de la lumière autour de la salle des fêtes et il s’inquiétait un petit peu, quoi. Il se demandait s’il y avait pas des voleurs, enfin des… Je sais pas de quoi il s’inquiétait réellement ! Et quand il a vu que c’était moi et que je lui ai expliqué que j’avais dormi là, alors il était mais vraiment très gêné (20) ! Il s’est excusé de… d’être venu comme ça. Très, très gentil, très sympa ! Il m’a invité à boire un café. Il voulait absolument (21) que j’aille boire un café chez lui, enfin tout ça. Donc en fait, c’est une très bonne rencontre ! Et puis bon, c’est un petit peu normal aussi si vous voyez… ça me paraît normal de s’inquiéter quand on habite dans un petit village si on voit des lumières un peu suspectes, quoi, entre guillemets (22) !
A : Bon, et quand on marche toute la journée seul, globalement, qu’est-ce qu’on fait ? On regarde, on écoute, on prend quelques photos avec son téléphone.
JC : Oui, on fait tout, quoi ! On fait tout. Mais…
A : On pense à quoi ?
JC : Bah voilà, c’est-à-dire que oui, il y a le fait de regarder, dans un premier temps, (23) le paysage. Mais comme quand on marche, quand même, le paysage évolue lentement, très lentement, la pensée (24) finit par se… par vivre sa propre vie, j’allais dire, par s’éloigner de nous, c’est ça qui est amusant, quoi, c’est-à-dire que… On va dire le corps et l’esprit finissent par se séparer en quelque sorte : les jambes marchent tranquillement, continuent leur rythme et puis la pensée, bah voilà, on pense à tout, hein, j’allais dire. A tout, aux gens qu’on aime. Des fois, on se dit : « Bah tiens (25), ça serait bien s’ils étaient là, on pourrait échanger. » On pense aussi à, je sais pas, des choses plus fondamentales, plus philosophiques, il y a une espèce de… ouais, de… même si j’aime pas forcément ces termes-là, mais de retour sur soi, voilà. On s’observe, on réfléchit à ce qu’on est, quoi, voila ! Il y a un petit côté métaphysique, on va dire.
A : Bon, bah merci pour tous ces renseignements sur ce grand voyage et puis…
JC : Merci à toi.
A : J’espère que tu vas trouver une autre destination !
JC : Oui, ça doit pas être difficile. Oui, on va trouver !

Des explications

  1. les abords : les environs immédiats, tout proches d’un lieu
  2. déjà : premièrement, tout d’abord
  3. faire un détour : ne pas aller directement quelque part
  4. ça fait faire des détours : on ne peut pas prendre le chemin direct le plus court possible, donc ça rallonge
  5. un raccourci : un chemin plus court qui permet de gagner du temps
  6. ceci dit : malgré tout. (On peut dire aussi : cela dit)
  7. des heures et des heures : très longtemps
  8. le Rhône : ce fleuve prend sa source en Suisse où il fait environ 300 km, puis coule en France et se jette dans la Méditerranée (après avoir parcouru un peu plus de 500 km)
    Pour en savoir plus sur ce grand fleuve, le site Cap sur le Rhône est très riche, du point de vue géographique, historique. Il y a aussi plein de choses intéressantes dans la partie Culture et Patrimoine.
  9. une bonne heure : une heure et un peu plus
  10. enfin : ici, comme souvent, cet adverbe sert à annoncer une nuance à ce qu’on vient de dire
  11. globalement : dans l’ensemble
  12. c’était de la curiosité : de la curiosité de la part des sangliers. Ils étaient curieux de voir ce qu’il y avait dans cette tente.
  13. avoir le sentiment de... : avoir l’impression que… / penser que…
  14. les gens sur place : les habitants des lieux traversés
  15. le camping sauvage : c’est le fait de camper en dehors des terrains de camping officiels
  16. repérer quelque chose : chercher et trouver
  17. un point d’eau : un endroit où on peut trouver de l’eau
  18. une salle des fêtes : tous les villages (ou presque) et les petites villes ont leur salle des fêtes municipale, pour les festivités locales, publiques ou privées. On peut par exemple louer la salle des fêtes pour un mariage, etc.
  19. un peignoir : un vêtement souvent en tissu éponge qu’on porte après la douche ou le bain, ou le matin quand on se lève par exemple
  20. gêné : embarrassé
  21. Il voulait absolument… : donc on ne pouvait pas lui dire non
  22. entre guillemets : soi-disant, si on peut dire
  23. dans un premier temps : tout d’abord, pour commencer
  24. la pensée : le fait de penser, l’activité mentale de notre cerveau
  25. Tiens, … : ce terme n’a pas de sens précis dans ce cas. Il sert juste à annoncer en quelque sorte qu’on va dire quelque chose, à attirer en quelque sorte l’attention de la personne (ou des peresonnes) à qui on parle. Par exemple : « Tiens, si on allait au ciné ce soir. » / « Tiens, tu sais qui j’ai vu à la salle des fêtes ?

Fontvieille : le moulin des Lettres de mon moulin, d’Alphonse Daudet
Cliquez sur la photo pour en savoir plus.
Le Rhône, Tarascon et son château.
Sur l’autre rive, juste en face, se trouve Beaucaire. Cliquez sur la photo pour en savoir plus sur Beaucaire.

Histoire d’accents :
J’espère qu’au fil de ces trois épisodes, vous vous êtes bien habitués à l’accent de Jean-Claude !
C’est l’accent de l’Aveyron, où il est né et il ne l’a jamais perdu malgré toutes les années passées ailleurs, y compris dans le nord de la France.
Et peut-être entendez-vous la différence avec l’accent bien marseillais de certains de mes anciens étudiants ou des personnes qu’ils avaient interviewées.
Pour beaucoup de Français (qui ne sont pas du sud), tout ça, c’est pareil : c’est l’accent du sud, c’est le soleil, les vacances !


A la semaine prochaine

3 réflexions sur “400 km, entre le sud-est et le sud-ouest (fin)

  1. Peta dit :

    Super intéressant, surtout pour ceux d’entre nous qui aimons les petits coins perdus de la France ainsi que les randonnées! Merci, Jean-Claude et Anne!

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